Neige et le Capitaine revinrent enfin du port et montèrent sur le pont. Aussitôt, Jo Harrison, dit le Sanguinaire, les aborda.
- Capitaine, il semblerait qu’un rat se soit glissé dans la cale cette nuit.
Thompson le fixa de ses yeux gris comme un ciel de tempête, puis murmura :
- Neige, occupes t’en s’il te plaît.
- Bien, Capitaine.
- Capitaine, intervint le Sanguinaire, Je peux...
- Neige va s’en occuper, Jo.
C’est tout ce que je pus entendre du fond de la cale où je me cachais. La présence seule du Capitaine Thompson me glaçait, mais l’idée que ce fut son second et qui plus est une femme qui vienne me débusquer me conforta. Je ne savais pas ce qui m’attendait...
La trappe de la cale grinça et des pas firent craquer les marches qui y descendaient. La première vision que j’eus de Neige fut ses bottes. Des bottes ayant remarquablement vécues et dont les boucles claquaient au rythme de ses pas. M’apparut ensuite son pantalon. Large pantalon d’homme en toile noire recousu maintes fois, le tout retenu par une large bande de la même couleur sous une épaisse courroie de cuir avec une large boucle. S’en suivit une chemise d’homme plus ou moins blanche (à ce moment j’eus un doute quant au fait que ce fut bien une femme et que je ne me fus trompé), portée sur un corset de femme, de la même couleur que la chemise, dont les manches étaient remontées jusqu’aux coudes. Deux fines lanières de cuir barraient sa poitrine, l’une retenant son pistolet, l’autre son sabre d’abordage. Je remarquai qu’à sa ceinture était accroché un compas, ou du moins c’est ce que j’en déduisis à la vue du boîtier noir qui frappait sa cuisse. Son visage m’apparut enfin. Une peau tannée, des traits fins et réguliers lui donnant un visage doux et très féminin et des yeux turquoise trop clairs. Un regard transperçant et glacé. Ses cheveux d’une couleur indéfinissable parcourue de reflets chatoyants bruns et cuivrés, semblables à une crinière de fauve, étaient tressés par certains endroits et ce sans aucun souci d’esthétique. Ils étaient retenus par un foulard blanc immaculé, contrairement au reste de ses vêtements. Son pied toucha le sol de la cale avec un dernier claquement et elle s’immobilisa. Son regard parcourut les caisses entassées là et finit par se tourner de mon côté. Je pus détailler son physique plus précisément. Ses mains, dont les pouces étaient fourrés dans sa ceinture, étaient fines et propres, chose rare chez les pirates. La paume de sa main droite était gantée de cuir et un tatouage s’étendait sur l’intérieur de son avant bras. Elle portait un deuxième sabre, que je n’avais pas vu quand elle était de profil. Accroché derrière ce même sabre, un fouet enroulé sur lui même pendait d’un air menaçant. Ses yeux se plantèrent alors dans les miens et elle dit :
- Sors de là, petit rat.
Sa voix n’était pas agressive, mais douce et chaleureuse, légèrement cassée. Un sourire apparut à mes lèvres et je me redressai, avant de m’avancer vers elle.
- Je suis..., commençai-je.
Mais à peine fus-je à sa portée qu’elle me mit la pointe de son sabre sous la gorge. Je fus surpris, mais leva les mains en signe d’apaisement.
- Je ne suis pas une menace.
- Quel est ton nom ?
- Sparrow, Jack Sparrow.
Elle plissa les yeux.
- Sparrow... Eh bien, le Moineau, que fais-tu caché à fond de cale du Gardien ?
- C’est un malentendu. J’ai eu quelques ennuis hier soir et j’ai voulu me...
- Sais-tu qui est le capitaine de ce bateau ?
- Oui, c’est...
- Alors, même en sachant cela, tu as eu l’audace d’y monter ?
Sa manie de ne pas me laisser finir mes phrases commençait à sérieusement m’agacer.
- Si tu veux que je te réponde, laisse-moi parler !
- Qui a dit que je voulais que tu parles ? Ton sabre le fera pour toi.
Elle donna une petite tape du plat de sa lame sur mon épaule et recula de deux pas me laissant tirer mon arme.
- Tu n’aurais pas du me provoquer, dis-je avec un sourire suffisant, Je suis imbattable.
- Vraiment ?
Je voulus lui porter un coup d’estoc, mais elle bloqua ma lame et la frappa vers le bas. Mon sabre s’échappa de ma main et tomba au sol avec un bruit mat. Je restai pétrifié un instant à fixer mon sabre, puis releva les yeux vers elle.
- Minable.
Elle rengaina son arme et se dirigea vers l’escalier. Sa voix me parvint du pont.
- Hey, le Moineau, reste pas planté là. Le Capitaine veut te voir.
Je m’empressai de ramasser mon sabre et de remonter sur le pont.
À ce moment là, je venais d’être profondément blessé dans ma fierté. Moi, le jeune et hautain vainqueur de tous les duels de bars, venait de me faire lamentablement corrigé par une femme. Mais ce qu’on avait omis de me dire, c’est que Neige ne traînait que rarement dans les bars, et toujours sans son sabre et qu’elle ne participait jamais à ce genre de petit tournoi.
Sans que je réalise exactement comment, le Capitaine Thompson me prit dans son équipage et j’embarquai, cette fois en tant que véritable pirate, sur le Gardien. Je fus placé sous les ordres de Neige et c’est elle qui fut chargée de me former.
- T’as quel âge ?, me demanda-t-elle un jour en plein combat de sabre.
Trop concentré, je ne répondis pas tout de suite.
- Hey, le Moineau, je t’ai parlé.
Elle bloqua mon sabre et plongea ses yeux dans les miens.
- J’ai dix-huit ans, finis-je par répondre.
- Et ça te gène pas d’être sous les ordres d’un pirate plus jeune que toi ?
- Pourquoi, t’as quel âge ?
Je retirai ma lame de son emprise et fit un pas de côté.
- Moi ? Je dois avoir seize ou dix-sept ans.
Je tournai sur moi-même et parvint à glisser ma lame sous sa gorge. Elle sourit.
- Eh bien, Sparrow, on dirait que tu t’améliores...
- Et toi, on dirait que tu deviens un peu plus aimable...
Erreur, j’étais allé trop loin. Elle se dégagea et piqua son sabre sur mon ventre.
- Je garde mon amabilité pour ceux qui en sont dignes, le Moineau...
- D’accord, d’accord, je vais plus m’entraîner, c’est promis.
En un mois, je fus battu, coupé, écorché et ouvert à outrance. Mais le métier rentrait, comme disait Neige, et je devenais peu à peu le meilleur pirate de l’équipage.